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L’enregistrement d’une conversation privée sans consentement : que dit la loi ?

Enregistrer une conversation privée et/ou la diffuser au public ou la faire écouter par une tierce personne est devenu chose banale, soit par insouciance soit à des fins de malveillance. Dans tous les cas, cette pratique a, sur le plan juridique, des implications très importantes sur la vie privée des personnes.

Le contexte juridique de l’enregistrement d’une conversation privée

Pour mieux comprendre ces implications juridiques, il convient de rappeler la valeur de la vie privée dans notre ordre juridique. Cette valeur est donnée par notre constitution à son article 6 qui dispose que « (…) la vie privée et familiale, le secret de la correspondance de toute personne sont inviolables ». Cette inscription claire de la vie privée et du secret de correspondance dans notre loi fondamentale a pour effet de les élever au rang de droit fondamental. Pour faire simple, un droit fondamental est un droit considéré comme primordial par la constitution ou une convention internationale et dont la protection est nécessaire à la préservation de la dignité, de l’intégrité et des conditions d’existence de la personne humaine. En plus du droit à la vie privée, on peut citer au titre des droits fondamentaux, à titre d’exemple, le droit à la vie, le droit à la liberté, le droit à un procès équitable et plus généralement les droits de l’homme. En tant que droit fondamental, le droit à la vie privée est liée à la condition humaine de sorte qu’y porter atteinte, reviendrait à remettre en cause la dignité de la personne en tant qu’être humain. Ainsi, le fait d’enregistrer une conversation privée d’une personne participe à la remise en cause de son droit fondamental à la vie privée. D’où la rigueur du droit face aux enregistrements de conversations privées par exemple.

Le principe de l’interdiction d’enregistrer une conversation privée

Il faut tout de suite dire qu’au Burkina Faso, et dans la plupart des droits des autres pays, il est interdit d’enregistrer une personne sans son consentement. L’interdiction existe, en principe, peu importe l’intention qui vous anime. A la suite de la constitution qui proclame l’inviolabilité de la vie privée, la source de cette interdiction se trouve à l’article 524-9 du code pénal (voyez également l’article 525-4 du même code). En effet, il dispose qu’est passible d’une sanction pénale « (…) quiconque, au moyen d’un procédé quelconque, aura volontairement porté atteinte à l’intimité de la vie privée d’autrui en captant, écoutant, enregistrant ou transmettant des paroles prononcées dans un lieu privé par une personne sans le consentement de celle-ci (…) ». La disposition précise que la sanction encourue est « d’une peine d’emprisonnement de deux mois à un an et d’une amende de deux cent cinquante mille (250 000) à trois millions (3 000 000) de francs CFA ». Ce qui est sanctionné, c’est non seulement le simple fait d’enregistrer une personne sans son accord, mais aussi le fait d’utiliser l’enregistrement. C’est donc l’un et/ou l’autre des cas qui est/sont visé(s). En d’autres termes, on n’est pas autorisé à enregistrer une personne sans son accord, ou encore porter ou laisser porter à la connaissance du public ou d’un tiers ou d’utiliser de quelque manière que ce soit un enregistrement sans l’accord de l’intéressé. Le texte parle de « procédé quelconque », ce qui veut dire que l’interdiction s’applique aussi aux enregistrements des conversations (appels) téléphoniques entre particuliers.

Avant donc de démarrer l’enregistrement d’une conversation privée, il faut informer la ou les personnes concernée(s) de votre intention, et obtenir préalablement leur accord exprès (écrit ou verbal). Même si l’on participe personnellement à la conversation, le consentement préalable et obligatoire des autres participants est nécessaire. Le consentement est donné au cas par cas de sorte qu’un accord donné pour l’enregistrement ne vaut pas nécessairement pour son utilisation ou exploitation (publier ou faire écouter par autrui) : il faut aussi solliciter et obtenir l’accord exprès avant d’utiliser la conversation privée même régulièrement enregistrée.

Il faut aussi préciser que le droit à la vie privée est un droit attaché à la personne comme précisé plus haut. De ce point de vue, le mariage n’est pas une cause d’exemption du consentement préalable exigé. C’est dire que, même dans le cercle familial, un conjoint n’est pas autorisé à enregistrer la conversation privée de l’autre, même (en principe) à titre de preuve de son infidélité. D’ailleurs, une telle preuve obtenue illicitement ou déloyalement ne serait pas reçue par le juge civil dans le cadre d’une éventuelle action en divorce pour faute (infidélité). C’est ce qu’enseigne l’article 384 de notre code des personnes et de la famille actuel lorsqu’il dispose que « Un époux ne peut verser aux débats les lettres échangées entre son conjoint et un tiers qu’il aurait obtenues par violence ou fraude ». Cela est valable dans la majeure partie du procès civil.

Cependant, lorsque le droit à la vie privée entre en conflit avec d’autres droits (fondamentaux) comme le droit à la preuve, les juridictions civiles ne manqueraient pas d’admettre comme une conversation acquise déloyalement ou illicitement dès lors qu’elle s’avère être le seul moyen à la disposition de la victime pour se faire une preuve. Ici, ce moyen devient alors indispensable à la manifestation de la vérité (en France, une décision est allée dans ce sens mais qui peut inspirer : Assemblée plénière de la cour de cassation française, 22 décembre 2023, n° 20-20.648 et 21-11.330). C’est dire que le droit à la vie privée ne résiste pas toujours lorsqu’il entre en confrontation avec d’autres droits de même valeur et de même rang comme le droit à la preuve, de sorte que les juges se sentent obligés de faire un arbitrage. Dans le cas de divorce pour infidélité cité précédemment, la conversion privée enregistrée irrégulièrement pourrait être reçue comme preuve si la faute d’infidélité ne peut être prouvée que par cet enregistrement, et surtout à la condition qu’il ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie privée. Cela nous rappelle la lourde tache qu’abattent nos juges dans leur office.

Par ailleurs, et c’est aussi là la complexité du droit, lorsqu’un conjoint poursuit l’autre pour adultère devant un juge pénal, ce dernier pourrait recevoir un tel élément de preuve s’il estime qu’elle est de nature à fonder son intime conviction. Cela est dû au fait que, en matière pénal, la traque des présumés délinquants est assez complexe de sorte que la loi a voulu donner aux acteurs judiciaires de la chaine pénale, les moyens d’agir efficacement d’où une telle spécificité comparativement au domaine civil. Même si le juge pénal pourrait recevoir un tel enregistrement à titre de preuve, cela n’enlève aucunement le droit qu’a la personne enregistrée d’engager à son tour une action contre l’auteur pour atteinte à sa vie privée ou à l’intimité de sa vie privée.

Les cas d’enregistrement d’une conversion sans consentement permis

Le premier cas est identifiable dans le texte de l’article 524-9 du code pénal précédemment évoqué. La lecture de cette disposition permet de relever que lorsque l’enregistrement est réalisé au vu et au su de l’intéressé sans son opposition, alors qu’il était en mesure de le faire, le consentement de celui-ci est présumé. À dire vrai, il s’agit plus ici d’une présomption de consentement qu’une absence de consentement. En clair, étant donné que l’acte a été réalisé en connaissance de cause de l’intéressé et sans son opposition, la loi a voulu ainsi déduire qu’il a marqué son accord implicitement et sans ambiguïté. Pour autant, cette présomption de consentement n’est pas admise partout, et particulièrement en droit des données personnelles (en français facile, une donnée personnelle est toute information ou donnée qui permet d’identifier une personne physique comme le nom, le bulletin de salaire, relevé bancaire, etc). En cette matière, la voix est une donnée personnelle dont l’enregistrement requière le consentement nécessaire et exprès de la personne (art. 5 alinéa 4 de la loi du 30 mars 2021 portant protection des personnes à l’égard du traitement des données à caractère personnel au Burkina Faso). Qui plus est, si l’enregistrement contient des données personnelles sensibles (état de santé, vie sexuelle, données génétiques, convictions religieuses, opinions politiques, appartenances syndicales, origine ethnique ou raciale, etc.), on exige que ce consentement soit donné par écrit ( Art. 31 de l’Acte additionnel CEDEAO portant protection des données).

Le second cas résulte du code de procédure pénale qui permet au juge d’instruction de prescrire, pour des nécessités d’enquête, à ce qu’on puisse enregistrer notamment une conversation privée dans le cadre d’une procédure pour crime ou délit commis, et ce, sans l’accord de l’intéressé. Ici l’intérêt général (lutte contre la criminalité) prend l’ascendance sur l’intérêt individuel (vie privée). En même temps, le statut de droit fondamental de la vie privée conduit la loi à encadrer strictement cette procédure d’où le fait que l’initiative provienne des acteurs judiciaires, garants de nos libertés. Ce qui veut dire que l’enregistrement ici n’intervient que dans des hypothèses assez graves, la peine encourue devant être supérieure ou égale à deux ans d’emprisonnement (consultez l’article 261-26 de notre code de procédure pénale).

Les autres cas résultent, et ce n’est pas exhaustifs, de textes spéciaux qui autorisent, et parfois imposent l’enregistrement des conversations privées. Pour l’essentiel, c’est le cas en matière de lutte contre les blanchiment de capitaux et de financement du terrorisme, de règlementation des marchés financiers, etc. On n’oublie pas de rappeler que dans certains cas l’enregistrement est automatique (conversation whatsapp, etc). Dans ces cas, ce n’est pas l’enregistrement qui est sanctionné, mais l’utilisation à d’autres fins sans accord. Pour l’hypothèse spécifique de l’enregistrement des conversations via zoom, il semble que notre droit n’en a pas traité spécifiquement, contrairement à d’autres Etats. En tout état de cause, il serait prudent, lors des rencontres zoom, google meet, etc, de toujours informer les participants qu’elles seront enregistrées.

Cet article qui n’est qu’à titre d’information et de vulgarisation, n’évoque que l’essentiel de la question. Je voudrais ici remercier Arnaud NADINGA (Doctorant en droit privé) et Giovanni Yassiya SAWADOGO (Auditeur de justice) pour leurs apports considérables.

Massongo Kodjo Oulando,

Doctorant en droit privé

 

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