NAHOURINEWS
Editorial La Une Société

CINE DROIT LIBRE : « si ce festival n’existait pas il fallait forcement le créer », dixit Bouba

Dans le cadre de la 15ème édition du Festival Ciné droit libre qui s’est déroulé du 7 au 14 décembre 2019, nous avons rencontré Aguibou Bougobali Sanou dit Bouba, danseur chorégraphe professionnel, professeur de danse et directeur de In-Out Dance Festival à Bobo Dioulasso. Au cours d’un entretien qu’il a bien voulu nous accorder, nous avons abordé entre autres le film, Les voleurs danseurs de Lali Houghton dans lequel il est l’acteur principal, projeté le 13 du mois à l’Institut français de Ouagadougou, le festival qu’il dirige, son futur combat et comment ce jeune de 37 ans a battu sa carrière professionnelle autour de la danse.

Afriyelba : Pourquoi le film n’a pas été sous-titré pour permettre à ceux qui ne comprennent pas Dioula de pouvoir comprendre certaines conversations?

Aguibou Bougobali Sanou dit Bouba : Votre question est très pertinente. C’est une production anglaise qui a réalisé le film. Donc il y avait une version sous-titré en anglais. Cette version on a fait extraire rapidement le sous-titre pensant que les gens ne pourront pas lire l’anglais. Sinon tout le film est sous-titré en anglais dans sa version originale que vous pouvez trouver peut être. On avait le projet de lancer le film officiellement ici au Burkina dans le mois de février passé. Moi j’étais aux Etats Unis malheureusement à cette période-là. Nous avons même tout fait pour que le film passe au FESPACO 2019 en vain. Je leur ai dit que même dans la vie active il y a des gens qui vont vous foutre des bâtons dans les roues. Et ça été le cas. A un moment donné, Al Jazeera a dit « Bouba s’ils veulent qu’on paie pour pouvoir faire voir ce film au FESPACO on veut payer. Parce que ça s’est passé au Burkina, c’est sur la prison du Burkina, il y a un burkinabè chorégraphe qui fait un travail la dessus sans prétention. Il faut que le monde voit ça et le Burkina abrite le plus grand festival de cinéma en Afrique ». Malgré tous ces arguments ça n’a pas marché. Ça fait vraiment de la peine de voir qu’il y a des personnes qui ne pourront pas comprendre. Et il y a une partie dans le film où un détenu a, par exemple, dit « s’ils veulent, ils n’ont qu’à nous enfermer on va continuer à danser dans nos têtes ». Il y a de très belles choses qui se disent dedans en Dioula et c’est dommage que vous ne comprenez pas peut être.

Est ce qu’il est prévu dans les jours à venir de doubler le film ?

Oui. Mais pour le moment on n’a pas les moyens de faire un sous-titre en français. On a essayé mais on n’y est pas parvenu. Mais on espère que de bons cœurs entendront notre cri pour que les choses aient bien.

On a suivi votre film avec amour, passion, il a même fait pleurer d’autres. Vous, à travers ce film et le Festival Ciné droit libre, quel message avez-vous à passer au public et à la population du monde entier ?

Je pense que si ce festival n’existait pas il fallait forcement le créer. Donc je dis merci à toute l’équipe de Abdoulaye Diallo. Je l’exhorte à continuer ce travail qui donne l’opportunité aux gens de s’exprimer. C’est très important de débattre des réalités de la société. Ce n’est qu’en palabrant au tour de nos réalités qu’on pourra avancer positivement dans notre société. Merci pour ce cadeau.

Qu’est-ce que ce festival vous apporte de plus?

Ce festival a ouvert des portes et va continuer à en ouvrir d’autres. Moi ça me donne un grand cadeau qui est cette confrontation avec le public. Rencontrer le public et échanger avec lui. Laissez-moi vous dire que tout part des échanges avec quelqu’un. C’est à partir des échanges qu’on décide de créer un projet et les différentes orientations qu’on va donner à ce projet.

Avez-vous des suggestions à faire ou un message à l’endroit des initiateurs de ce festival ?

Nous sommes des humains et l’Homme n’est pas parfait. Puisqu’on dit que la perfection n’est pas de ce monde. Certes il y a des choses qui vont déborder et c’est ça aussi l’Homme. Je dirai juste il faut faire un bilan. Regardé qu’est-ce qui a marché et qu’est-ce qui n’a pas marché. Comment il faut remédier à ça. Mais vous n’aurai jamais un festival qui va fonctionner avec l’opinion publique à 100%. Je suis organisateur de festival et je sais comment ça se passe. Je vais tout simplement demander aux autorités de supporter ce Festival. C’est dommage que l’argent qu’on met dans nos activités, le plus souvent, vienne d’ailleurs.

Revenons un peu sur le titre du film. Pourquoi « Les voleurs danseurs » ?

Pour le titre ce n’est pas moi qui l’ai donné. Le projet s’intitule « Le projet en général pour travailler sur la réinsertion sociale des détenus à travers la scène, notamment la danse nommée WHY NOT ». Nous avons fait un premier spectacle qui s’appelle HOPE [ESPOIR]. Ce spectacle je l’ai nommé SECOND CHANCE. Et quand on venait les matins pour sortir les danseurs, moi je les appelle mes danseurs. Et dedans, on pouvait entendre des autres camarades qui sont en cellule avec eux, « Eh les danseurs voleurs ! Eh les voleurs danseurs ! ». Et du coup eux-mêmes ils aimaient beaucoup ce nom-là. Donc vous voyez que ce n’est pas moi qui ai proposé ce nom au film ?

Quelle image, les autres prisonniers avaient à l’endroit de ces danseurs-là, lors du tournage ?

Au début ce n’était pas facile. On a fait un long travail de psychologie pour qu’ils soient prêts. Au début on se moquait d’eux. Puisque de toutes les façons, dans nos sociétés on dit que la danse c’est pour la femme, quand bien même tout le monde danse. Donc au fur et à mesure ils ont pris confiance. Et quand on était à mi-chemin du parcours, d’autres détenus voulaient rejoindre le groupe des danseurs. Mais on était déjà avancer. Donc il y a eu un effet positif sur ces détenus.

Quelle a été la réaction de l’administration de la MACB après avoir visionner le film ?

Pour l’instant l’administration de la MACB n’a pas encore visionné le film. Parce que j’étais en déplacement quand le film est sorti. Et quand on est revenu ils [la MACB] étaient en grève. Maintenant moi je suis en train de mener un travail ici. Donc dès que je descendrai à Bobo, j’irai les voire. Le film est prévu pour être projeter pour les détenus au mois de février.

Le responsable de sécurité vous avait refusé l’autorisation de sortie, pour danser dehors, au moment du tournage. Quelle est aujourd’hui votre relation avec ce dernier ?

Tout le monde était fâché. Mais moi j’en étais plus que lui, parce qu’il a retourné sa veste. Mais nous sommes des hommes et quand on est homme on pardonne. Moi je lui ai pardonné. Je pense qu’il y a eu une incompréhension quelque part même si je pense également que c’est beaucoup à cause de l’argent. Dès que je fini mon travail j’irai encore à Bobo on va se parler. On va essayer de se comprendre pour que le projet continu on ne va rien lâcher.

Que deviennent ou sont devenus les danseurs voleurs ?

Parmi ces danseurs il y a une grande partie qui a été libérée. Il y en a qui sont dans les arts aujourd’hui. Je connais un qui est devenu un Disque Joker, il y a deux qui ont sorti leurs albums de musique. J’en connais deux qui évoluent aujourd’hui dans le commerce. Les autres sont sortis hors de Bobo pour faire reposer leurs têtes. Parce qu’après avoir passé 5, 7 et 8 ans en détention, cela est nécessaire. Ça leur permet de réfléchir sur leurs futurs projets.

Depuis quand vous menez ce combat à la MACB ?

C’est depuis 2014. Comme je l’ai dit, j’essayais, en tout cas, à chaque fois d’envoyer d’autres jeunes chorégraphes pour qu’ils continuent le travail avec eux quand je ne suis pas là. Ça leur permet également de se familiariser avec d’autres visages. Mais le projet est porté par la Compagnie TAMADIA dont je dirige.

Y a-t-il des résultats positifs de votre combat ? Si oui, quels sont les indices ?

Pour l’instant je n’ai pas encore pu discuter avec tous les détenus qui sont sortis de prison. On est en train de mener des études qui nous permettrons de savoir si ça leur fait du bien ou pas. Mais j’ai juste appris qu’il y a un qui est réincarcéré, malheureusement. À part lui, tous ceux qui sont sortis sont en train de mener leurs activités. Donc pour le moment il y a plus de positif que du négatif.

Avez-vous mis en place un mécanisme de diffusion du film dans les autres prisons du pays?

Non, pour le moment on n’a pas encore travaillé là-dessus. Mais j’espère que ça sera nécessaire et nous allons y réfléchir.

Quel pourrait être votre futur combat ? Pas seulement avec les incarcérés mais sur d’autres champs de bataille. Avez-vous d’autres futurs combats concernant d’autres couches vulnérables de la société?

Mon futur combat sera avec les enfants qui font la mendicité. Car, quand les détenus racontent leurs vies, on constate que la majorité est passée par là. C’est eux qui deviennent des voleurs ou des tueurs et ensuite ils se retrouvent en détention. On les amène chez des maîtres coraniques ou chez des oncles où ils n’ont pas à manger. Et comme on le dit des fois, il faut soigner le mal en commençant par sa racine. C’est vrai qu’il y a un travail qui a été déjà fait avec les détenus. On doit continuer là-dessus. Mais il faut qu’on voie aussi ces enfants parce qu’il faut que tous les enfants aillent à l’école. On va chercher les raisons qui font que ces derniers ne vont pas à l’école. Comment aller vers ces enfants-là pour changer la donne.

Pouvez-vous nous parler de votre festival, In-Out Dance Festival?

In-Out Dance Festival est un festival international de danse dans l’espace public créé aussi, comme le projet de la prison, en 2014 qui se déroulait à Bobo. Mais ces dernières années nous l’avons décentralisé sur quatre autres villes, en plus de Bobo, qui sont Hounde, Orodara, Banfofa et Bama. L’idée du festival c’est d’amener la danse vers la population la plus marginalisée. C’est vrai que des fois on dit qu’on gaspille en faisant la fête. Mais quand on ne fête pas aussi on devient aigri et on n’arrive pas à se déstresser. Et c’est ça qui amène les gens à être tendu et à commettre des fois des choses irréparables. On va donc les amener à se distraire.

Y a-t-il des dates prévues pour la prochaine édition ?

La prochaine édition de In-Out Dance Festival c’est du 1er au 9 février 2020. C’est la 7ème édition qui se tiendra sous le thème « 2020, affronter sa peur ». Nous avons retenu ce thème en ce sens que toutes les compagnies, en tout cas près de 95% des artistes qui y viendront ont une élection présidentielle chez eux en 2020. Voilà pourquoi !

Parlez-nous un peu de vous. Comment avez-vous commencé votre carrière de danseur professionnel ?

Ce n’était pas prévu que je devienne danseur, je l’avoue. C’était le dernier de mes choix. Je viens d’une très grande famille d’artistes. J’avais fait mes études pour intégrer le prytanée militaire, puisque j’étais premier de mon école. Donc au CM2 nous avons passé le concours d’entrer au prytanée militaire. Malheureusement j’ai ça n’a pas marché pour moi. Et un jour, j’ai surpris un monsieur qui disait à mon père « dans ce pays-là ce n’est pas l’intelligence qui compte, mais si tu as l’argent tu paies et on prend ton fils ». Ça m’a donc déboussolé. C’est là que j’ai dit, il faut que je fasse des études pour devenir magistrat dans le but de combattre l’injustice. Et c’est ainsi que je me suis inscrire en littérature. Mais des fois l’Homme décide de son destin et Dieu en décide autrement. Alors les choses ont basculé en 2003 quand j’ai été officiellement sélectionné pour jouer le premier rôle dans le film Ouaga Saga de Dani KOUYATE. A l’école on ne voulait pas que je joue dans le film quand bien même c’est ça qui me permettait de payer mes études, puisque j’avais perdu mes parents. Ils m’ont demandé donc de faire le choix entre les études et l’art. J’ai alors choisi l’art, car c’est ça qui me permet de vivre. Et quand je suis parti et que j’ai vu Salia SANOU danser, j’ai tout de suite dit c’est la danse je veux faire. Entre 2003 et 2006 je me suis beaucoup formé ici et aussi à Paris et à l’Inde. Dieu merci à 37 ans j’ai pu parcourir, grâce à la danse, 36 pays sur 4 continents.

Quel est votre mot pour la fin ?

Je vous remercie d’être venu nous voir afin de nous permettre de nous exprimer. C’est vous qui relayer nos voix et je vous exhorte à continuer à le faire. Continuer quand bien même c’est difficile, continuer toujours à le faire sans penser à l’argent.

Interview réalisée par Eunice Nikiema et Abatidan Casimir Nassara

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